L’initiation royale d'Erec, le chevalier

On a voulu voir jusqu'à ce jour dans le personnage d'Érec, chevalier de la Table Ronde, un héros auquel l'amour fait perdre momentanément le sens de l'honneur et de la prouesse, mais qui se ressaisit dans un sursaut de fierté et parvient à échapper au sort du chevalier “recréant”, sans pour autant renoncer à Énide, son épouse et amie, ni renier la fidélité qu'il lui voue. Cette interprétation rend sans doute compte d'une des intentions de Chrétien de Troyes et de Hartmann d'Aue, l'adaptateur allemand d'Érec et Énide. Cependant le roman courtois du couple et du mariage se double, dans l'esprit des deux auteurs, du récit des épreuves qualifiantes qu'Érec doit surmonter afin d'affirmer les vertus royales qu'il tient de son lignage. Lorsqu'il quitte la cour paternelle pour fuir la honte et la déchéance, le fils du roi Lac ne se lance donc pas seulement à la quête de l'aventure qui doit le réhabiliter : il s'engage aussi sur un parcours initiatique dont les jalons sont disposés selon une théorie traditionnelle de la royauté, venue du plus lointain passé indo-européen, et il devra assumer les risques et périls d'un destin royal, accédant ainsi par degrés à la véritable Souveraineté. C'est cet aspect du premier de nos romans arthuriens, tant français qu'allemands, que la présente étude entend mettre en lumière.